Vie sexuelle : Tibo InShape prend la voie réac'
Sommaire
article

Vie sexuelle : Tibo InShape prend la voie réac'

L'influenceur choisit une voix conservatrice pour parler de sexualité aux jeunes

Réservé à nos abonné.e.s
Tibo InShape, vidéaste aussi célèbre pour son goût de la musculation que ses partenariats (promotion du SNU, de l’armée, des avions …) a décidé de parler vie relationnelle, affective et sexuelle à ses millions de jeunes abonné·es en invitant une "experte". Une sexologue conservatrice ambigüe, fustigeant le porno comme le néoféminisme et l’usage de la contraception… ce qui n’est jamais précisé dans la vidéo.

Le thème du "réarmement démographique" a été lancé par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse le 16 janvier. Quatre jours plus tôt, Tibo InShape, 2e vidéaste français avec ses 14 millions d'abonné·es, reçoit Thérèse Hargot sur sa chaîne pour qu'elle "réponde à [ses] questions intimes"

Tibo InShape à gauche et Thérèse Hargot à droite

Tibo InShape à gauche et Thérèse Hargot à droite

Tibo InShape, Youtube, 14 janvier 2024

56 minutes d'entretien intimiste et complice, un million de vues à date pour des questions aussi essentielles que "comment allonger son pénis ?" ou "comment durer plus longtemps au lit ?" Pas le moindre rappel, en revanche, concernant les méthodes de contraception, alors même que la vidéo est "tout public" et qu'elle s'adresse d'abord aux jeunes qui suivent Tibo InShape.

Thérèse Hargot, son interlocutrice, est présentée comme une "sexologue, thérapeute de couple [...] et surtout essayiste" ajoute-t-elle, alors qu'elle fait la promotion de son dernier livre sur le porno (Tout le monde en regarde (ou presque), Albin Michel). Elle intervient auprès des "adolescents dans les collèges, les lycées"… notamment ceux de l'école Stanislas entre 2013 et 2017, mais ça, ce ne sera pas mentionné dans la vidéo. Ne seront pas mentionnés non plus son intervention dans les universités de la Manif pour tous en 2014 , son titre de "personnalité conservatrice", catégorie "alterféministe", attribué par le Figaro Magazine en 2020 ni ses positions polémiques au sujet de la contraception, "le plus grand scandale du siècle !"

Dans un entretien accordé à 20 minutes le 17 janvier 2024 et alors que Mediapart a rendu public le rapport de l'inspection sur l'école Stanislas la veille, elle explique son départ de l'établissement en 2017 : "J'étais fondamentalement en tension avec les prises de position de l'institution et les valeurs transmises aux élèves". Selon Lorraine Poupon, co-autrice d'une enquête de Mediapart publiée en 2022 sur le sexisme et l'homophobie au sein du lycée, d'anciens élèves se seraient sentis trompés par leur intervenante : "Elle jouait la grande copine cool mais derrière la forme se trouve le fond, et pour le coup, c'est une belle arnaque marketing". Elle dénonce alors auprès d'eux "la dictature du préservatif" et fait la promotion de la méthode Ogino qui incite les femmes à opter pour une contraception "naturelle" en refusant toutes les autres et en "apprenant à connaître leur cycle ce qui fait peser la charge de la contraception sur les femmes" explique Poupon. 

"Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre" - Thérèse Hargot citant l'Évangile dans "Valeurs actuelles"

En 2022, elle affirme à Mediapart "avoir pris ses distances avec Stanislas" et dit "regretter certains choix"... mais pas la fréquentation des milieux catholiques et réactionnaires qui se poursuit après son départ de l'établissement en 2017, pointe Lorraine Poupon.

C'est une habituée des médias conservateurs. Elle était récemment sur CNews, Radio Courtoisie ou encore dans le JDD où elle déclare le 2 janvier 2024 : "La pornographie est une drogue dure"Interviewée par Valeurs Actuelles le 10 janvier 204, six jours avant que le journal ne soit condamné pour "injures" et "complicité d'injures à caractères racistes"elle estime au sujet "des propos tenus par Depardieu" que le "côté positif de cette affaire" est d'avoir mis fin à "la tolérance de l'intolérable" mais que "le versant négatif de la polémique réside dans l'essentialisation d'un homme" et invoque pour le défendre… Jésus dans l'Évangile : "Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre"Pour Lorraine Poupon, Thérèse Hargot est d'abord une "communicante et stratège habile qui joue la carte du cool pour faire passer ses idées [...] comme dans la dernière vidéo de Tibo Inshape"

"Minimum une fois par semaine"

L'entretien commence par le ferraillage habituel d'Hargot contre la pornographie. Elle dénonce une industrie qui transmet des valeurs violentes et des pratiques éloignées de la réalité qui nuiraient à l'individu et au couple. Dans le même temps, on sera informé de la catégorie porno préférée de Tibo InShape. 

Plus loin il déclare également: "Ta copine, c'est pas ta maman, je me suis aperçu de ça récemment", heureux de constater que depuis qu'il "participe beaucoup plus régulièrement aux tâches ménagères de la maison ça va mieux (sur le plan sexuel, ndlr)". Hargot nous apprend d'ailleurs plus loin : "Le problème numéro un dans notre société : c'est la perte de désir sexuel". Mais qui tenir responsable du mal du siècle ? "Cette disparition des rapports sexuels s'explique [...] entre autres parce qu'on pense qu'il faut avoir des rapports sexuels quand on en a envie". Elle ajoute : "En fait si tu penses que le sexe ça doit être uniquement spontané, tu vas voir que ça va diminuer le nombre de rapports sexuels". "Quelle est la fréquence idéale de rapports sexuels ?" demande alors Tibo, soucieux. Hargot enchaîne : "Tu veux la réponse hypocrite ou la vraie réponse ? La réponse hypocrite c'est de dire : «Ça dépend de chacun. C'est quelque chose qui doit se discuter dans une relation etc.» Et on a l'impression que c'est très subjectif à chacun. Moi je pense que le grand minimum c'est une fois par semaine. Mais grand minimum !"  

"Mais grand minimum !"

"Mais grand minimum !"

Tibo InShape, Youtube, 14 janvier 2023

Notre experte du "bien dans le corps" serait-elle en train de dire à des centaines de milliers de jeunes qu'il faut s'imposer des relations sexuelles régulières peu importe ses envies ou ses besoins ? Précisément. Et pour nous en convaincre elle va avoir recours à un parallèle audacieux : "Je vais te prendre un exemple, qui n'a rien à voir avec le sexe mais pour t'illustrer. Tu vois dans toutes les religions ils ont un rendez-vous minimum une fois par semaine pour pratiquer leur religion. [...] Parfois t'as envie d'aller à la mosquée [...] et parfois t'as pas envie mais t'y vas parce que c'est un rythme !"

Plus loin, elle désigne un nouveau responsable de cette situation : "C'est nous, les femmes, qui devons initier les hommes au sexe et leur apprendre comment faire l'amour". "C'est notre job de femme de leur apprendre [...] mais y a plein de femmes qui veulent pas parce qu'elles ont été élevées comme dans Blanche-Neige et les sept nains", ces "princesses" ! Alors même qu'elles sont physiologiquement programmées pour ce "job" puisque c'est la femme qui "reçoit en elle" comme elle recevrait chez elle "pour dîner"

La suite de l'entretien se déroule sur le même ton de confidences à confidences, entre le rire et l'émotion, mais toujours en glissant, entre deux propos apparemment bienveillants, des échanges plus culpabilisateurs. Au sujet de l'usage de sextoys, Hargot déplore qu'ils puissent être "souvent plus performants" que les hommes et à Tibo de s'alarmer : "C'est la fin du monde, ça y est, la machine a vraiment remplacé l'homme". À la question "un couple peut-il s'épanouir sans sexe ?", c'est le retour de Dr Hargot et Miss Thérèse, qui donne une première réponse "hypocrite" : "oui, évidemment..." Puis sa conviction : "Est-ce que c'est encore un couple ? Moi je ne pense pas vraiment …"

Thérèse Hargot : une expertise frauduleuse ?

Camille Bataillon, sexologue clinicienne et hôte du podcast Camille Parle Sexe,  confie à Arrêt sur images être "désolée" par les propos tenus par Hargot : "Avec cette vidéo, elle vient faire valser tout notre travail en tant que sexologue où on essaye d'apprendre aux gens à s'écouter, à s'explorer à son rythme, à découvrir d'autres formes de faire l'amour ou d'être bien en tant qu'asexuel·le". Parler de "rendez-vous sexuels une fois par semaine, ça ne va pas" poursuit-elle. "Ça ajoute une pression supplémentaire sur les femmes, les couples (certains hommes n'ont ni l'envie d'autant de rapports, ni envie que leur partenaire se force), d'autres vont être très contents, et qu'une sexologue dise ça les légitime à mettre une pression sur leur partenaire. À la fin, on frise le viol conjugal". 

En France la profession de sexologue n'est pas réglementée, "tout le monde peut se dire sexologue ou sexothérapeute. Par contre, sexologue clinicienne ce sont des personnes qui ont fait un parcours universitaire de sexologie (qui implique des études de santé en médecine, maïeutique, ou psychologie comme dans le cas de Camille Bataillon, ndlr)", explique-t-elle. Thérèse Hargot est diplômée d'un master II de Philosophie à la Sorbonne, ses recherches ont porté sur les "gender studies", les études de genre. Sur son blog, elle explique que "pour mieux saisir [son] objet d'étude, [elle s'est] spécialisée par un Master en Sciences de la Famille et de la Sexualité – sexologie – de l'université de Louvain en Belgique". Le site de l'université catholique précise que pour être diplômé "sexologue clinicien" il faut, comme en France, être "détenteur d'un master (licence) ou doctorat en médecine, psychologie ou kinésithérapie ( spécialisation en périnéologie en option)". Sans ça, on suit une "finalité spécialisée approche interdisciplinaire de la famille et du couple (AIFC)" qui donne plutôt le titre de "conseillère conjugale" et sonne beaucoup moins bien au micro des médias pour donner une légitimité à son propos. 

Contactés, ni Tibo inShape ni Thérèse Hargot n'ont répondu à nos sollicitations. 

Partager cet article Commenter
4
4
Rafraîchir les commentaires
4 commentaires
4 nouveaux
Remonter en haut de fil
Commentaires

Vie sexuelle : Tibo InShape prend la voie réac'

Tibo InShape, vidéaste aussi célèbre pour son goût de la musculation que ses partenariats (promotion du SNU, de l’armée, des avions …) a décidé de parler vie relationnelle, affective et sexuelle à ses millions de jeunes abonné·es en invitant une "experte". Une sexologue conservatrice ambigüe, fustigeant le porno comme le néoféminisme et l’usage de la contraception… ce qui n’est jamais précisé dans la vidéo.


Entrez votre message

Derniers commentaires

"pour mieux saisir [son] objet d'étude, [elle s'est] spécialisée par un Master en Sciences de la Famille et de la Sexualité [...]"


Elle a vraiment dit ça ?


A part cette saillie - si j'ose dire - qui m'a bien fait rire, c'est juste affligeant

Ces propos sont effrayants et dangereux et c'est vraiment problématique qu'un Youtuber avec autant d'audience s'en fasse le relais. On ne s'étonnera toutefois pas que ce soit Tibo inshape au vu de sa macrompatibilité. Imposer une relation par semaine, c'est donner toute légitimité aux hommes d'exiger des rapports et de faire pression sur leur compagne, comme si elles avaient besoin de ça. Une belle pression bien réac pour contrer les maigres progrès fait ces derniers années.

Sans rapport (sic) évident,  Pascal Praud aurait fait ses études à St Stanislas, à Nantes. Sans rapport de cause à effet,  évidemment !

Très intéressant article; chapeau pour la veille sur ces sujets au combien sensibles...
C'est désolant comme discours à tenir un public aussi jeune et curieux de ces sujets. Quelques secondes pour dire de la merde et ce sont des années de travail derrière sur les représentations pour arranger l'affaire...
Et alors elle a bossé sur les gender studies? donc pas avec mais sur.. on devine un peu ce qu'elle aurait à en dire; mais peut être que cela aurait mérité un petit éclaircissement pour en avoir le coeur bien net?

Par ailleurs : "...d'autres vont être très contents et qu'une sexologue disent ça les légitime à mettre une pression sur leur partenaire." Sur le fond en effet, mais n'est-ce pas "qu'une sexologue dise..." plutôt?

 

Lire aussi

Voir aussi

Ne pas manquer

DÉCOUVRIR NOS FORMULES D'ABONNEMENT SANS ENGAGEMENT

(Conditions générales d'utilisation et de vente)
Pourquoi s'abonner ?
  • Accès illimité à tous nos articles, chroniques et émissions
  • Téléchargement des émissions en MP3 ou MP4
  • Partage d'un contenu à ses proches gratuitement chaque semaine
  • Vote pour choisir les contenus en accès gratuit chaque jeudi
  • Sans engagement
Devenir
Asinaute

5 € / mois
ou 50 € / an

Je m'abonne
Asinaute
Généreux

10 € / mois
ou 100 € / an

Je m'abonne
Asinaute
en galère

2 € / mois
ou 22 € / an

Je m'abonne
Abonnement
« cadeau »


50 € / an

J'offre ASI

Professionnels et collectivités, retrouvez vos offres dédiées ici